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— Raynar Thul n’est plus, dit-il. (Il était accroupi au cœur de la Première Chambre, surplombant une estrade circulaire d’où il pouvait être vu par plusieurs centaines de serviteurs insectes qui le suivaient où qu’il aille. Il avait les paumes sur le sol et fixait Luke de son regard bleu imperturbable.) Nous sommes UnuThul.

— C’est étrange, mais je ressens toujours la présence de Raynar Thul à l’intérieur de la vôtre.

Luke avait quelques difficultés à soutenir le regard de Raynar, non pas à cause de ces yeux impassibles ou de cet effrayant visage, mais à cause des émotions contradictoires que celui-ci provoquait en lui : la joie de savoir que Raynar avait survécu à son enlèvement, la peine ressentie en le voyant dans cet état et l’angoisse provoquée par le souvenir de la mort de tant d’autres Jedi… et notamment celle de son neveu Anakin. Il se relevait encore la nuit persuadé que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve ; qu’il y avait eu une meilleure façon d’arrêter les voxyn et qu’on ne lui avait jamais demandé d’autoriser la mission sur Myrkr.

— Raynar Thul se cache peut-être, dit Luke. Mais je peux affirmer qu’il est toujours présent.

— Nous sommes surpris, Maître Skywalker, que vous ne sachiez pas faire la différence entre un homme et un fantôme. (La même présence sombre que Luke avait ressentie à la Cantina Lizil s’immisça dans le corps de Raynar, empêchant Luke de clarifier sa pensée.) Raynar Thul a disparu lors du Crash.

— Et c’est là que UnuThul est né ?

— Nous ne pouvons parler de naissance, Maître Skywalker, dit Raynar. Un œuf tombe, une chrysalide est tissée.

— Vous voulez dire qu’il y eut métamorphose ? demanda Leia. (Elle était assise en tailleur, accompagnée de Mara, Luke et Saba. Yan, bien évidemment, n’avait pas voulu s’asseoir. Il arpentait la bordure de l’estrade, gardant un œil attentif sur les insectes rassemblés sous leurs pieds, tout en pestant contre la chaleur et l’humidité suffocante du nid.) Est-ce l’histoire qui est racontée sur les murs ?

Leia pointa du doigt les mosaïques de couleurs ornant l’intérieur de la Première Chambre et les yeux de Raynar scintillèrent de bonheur. Deux charbons ardents de couleur bleue, qui semblaient soudain s’enflammer au beau milieu d’un visage ravagé.

— Je vois que vous n’avez rien perdu de votre sens de l’observation, Princesse, dit-il. D’habitude, personne ne remarque la Chronique.

— La Chronique ? demanda Luke.

Raynar indiqua une bandelette rouge virant progressivement au blanc, qui s’étendait du plafond en forme de dôme jusqu’à l’entrée principale de la salle.

— Un vaisseau spatial est tombé du ciel, fit Raynar.

Luke tourna la tête et devina la silhouette compacte d’un vaisseau cargo YV-888 à la renverse, émergeant d’un vaste cratère encore fumant. Mais dès qu’il tenta de mieux poser son regard, l’image se mua en une sorte de tache floue.

— Je ne vois rien, se plaignit Yan.

— Seulement un mur de rocherz, ajouta Saba.

— Il est impossible d’y voir vraiment quelque chose, expliqua Mara. C’est un peu comme ces gelées flottantes sur Bespin. Elles n’apparaissent que lorsque vous détournez le regard.

— Oh, je vois le topo, dit Yan.

Quant à Saba, elle émit un sifflement déçu.

Luke tenta de se focaliser sur l’image suivante qui représentait Raynar agenouillé aux côtés d’un insecte blessé, les mains collées contre le thorax crevassé de ce dernier.

— Non, Maître Skywalker. Par ici.

Raynar lui désigna une sorte de tache rosâtre sur le mur adjacent.

Luke tourna de nouveau la tête et vit une silhouette totalement carbonisée, étendue au fond du cratère et entourée d’insectes.

— Tout près du vaisseau, Yoggoy a trouvé Raynar Thul, un être mourant et brûlé vif, poursuivit Raynar. Nous avons dévalé la pente pour attendre la Dernière Note afin de donner sa chair à manger aux larves.

Raynar désigna une nouvelle mosaïque. Des insectes le portaient à bout de bras pour l’emmener vers une petite enclave entourée de tours pointues, ressemblant fortement à celles de la ville à l’extérieur.

— Mais il nous a touchés au plus profond de nos êtres et nous avons éprouvé le besoin de prendre soin de son corps.

L’image suivante dévoilait le corps brûlé de Raynar immergé au fond d’un large bassin à six côtés. Il adoptait une position fœtale et était soigné par deux insectes de taille humaine.

— Nous avons construit une cellule spécifique et l’avons nourri et lavé comme s’il était l’une de nos propres larves.

Dans la scène suivante, on devinait le visage de Raynar, entouré par les cloisons d’une cellule beaucoup plus petite. Sa tête était repoussée en arrière et, la bouche grande ouverte, il était nourri par un insecte.

— Au bout de quelque temps, Raynar Thul ne fut plus. (Une nouvelle image montrait Raynar en train de s’extirper de la cellule. Ce n’était plus que le souvenir d’un homme meurtri, brûlé et défiguré, avec des yeux aussi étincelants que deux lunes bleues et glaciales.) Et un nouveau Yoggoy est apparu.

Puis, sur une autre mosaïque, l’on vit Raynar en train de fixer une attelle sur un insecte blessé. L’image suivante représentait plusieurs Yoggoy en train de soigner une salle remplie de membres du nid malades et estropiés.

— Nous avons appris à nous occuper des infirmes.

Plusieurs autres mosaïques décrivaient les Yoggoy en train de croître et de se développer, tandis que Raynar supervisait la construction d’aqueducs d’irrigation et celle d’un four.

— Avant, seul le nid importait. Mais Yoggoy est intelligent. Yoggoy a pris conscience de la valeur de l’individu et Yoggoy est devenu plus fort.

Vinrent ensuite les scènes les plus importantes. La première d’entre elles montrait Raynar en train de commercer de la nourriture et des équipements avec d’autres nids, la seconde représentait plusieurs insectes de différents nids qui l’écoutaient, tous rassemblés autour de lui. Et dans la troisième image, enfin, Raynar était à la tête d’un groupe d’insectes encore plus important. Des insectes de toutes formes, de toutes tailles et de toutes couleurs, sur le point de quitter leur propre nid.

— Unu fut créé, dit Raynar.

— Que représente Unu ? Le nid gouvernant ? demanda Leia.

Raynar fit non de la tête.

— Pas dans le sens où vous l’entendez. C’est le nid de tous les nids, afin que Yoggoy puisse tout partager.

— Ah ouais ? demanda Yan. Et comment ça marche ?

— Vous ne comprendriez pas, dit Raynar.

Il y avait encore des images : l’attaque d’un nid rebelle pendant une grande famine. A une époque où les nids florissants étaient littéralement dépouillés de toutes leurs ressources. Cela représentait les tout premiers pas de la Colonie et sa mainmise sur l’espace local. Mais Luke n’y prêta aucune attention. Il craignait d’avoir définitivement perdu le vrai Raynar et refusait d’accepter ce qu’il était devenu. Pire, il redoutait que les Jedi ne soient, eux aussi, perdus à tout jamais. Les Jedi, en effet, ne devaient surtout pas se retrouver à la tête de civilisations galactiques. Il leur était trop facile d’abuser de leurs pouvoirs. Trop facile d’utiliser la Force pour imposer leur volonté.

Il sentit Mara qui tentait de l’atteindre au travers de la Force, le suppliant de ne pas exprimer son angoisse.

— Qu’est-il advenu des Jedi Obscurs qui vous ont capturés ? demanda-t-elle à Raynar.

— Les Jedi Obscurs ? répéta-t-il en plissant son front déformé.

— Lomi et Welk, fit Luke. Les Jedi que vous avez secourus au cours de la mission sur Myrkr.

— Lomi et Welk… (Raynar semblait affolé.) Ils étaient… troubles. Vous dites qu’ils nous ont capturés ?

— Ils ont volé le Flier pendant que vous étiez à bord, expliqua Mara. Vous devriez vous en souvenir. Ils ont dupé Lowbacca en l’obligeant à quitter le vaisseau, puis ils l’ont dérobé alors que vous étiez toujours inconscient à l’intérieur.

Les yeux de Raynar s’agitèrent de plus belle et sa présence au cœur de la Force s’agita elle aussi. La part familière, celle que Luke reconnaissait, remontait à la surface de façon répétée, pour être avalée quelques secondes plus tard par une présence encore plus puissante et sombre. Une présence qui s’opposait à lui à chaque fois que Luke essayait de mieux connaître l’un des membres de la Colonie.

— Nous nous souvenons du Crash, mais pas des Jedi Obscurs. Nous pensons… qu’ils sont morts, finit par dire Raynar.

— Vous n’avez aucun souvenir de votre capture à bord du Flier ? demanda Luke. Vous avez bien dû les voir avant de vous écraser ?

La présence sombre s’amplifia à l’intérieur de Raynar et éjecta Luke avec une telle force qu’il faillit presque tomber en arrière.

— Nous nous souvenons du Crash, répéta Raynar. Nous nous rappelons des flammes, de la douleur et de l’épaisse fumée. Nous nous rappelons de la peur, de la solitude et du désespoir.

Il y eut un silence tendu. Un silence que Yan s’empressa de briser en pointant sur Raynar un doigt accusateur.

— Et Jaina et les autres ? demanda-t-il. Tu t’en souviens ?

— Bien sûr, répondit-il. Ils étaient nos amis. C’est pour cela que nous les avons appelés.

— Etaient ? Yan se rapprocha de Raynar. Il leur est arrivé quelque chose ? Si jamais tu as tenté d’en faire des Affiliés…

— Yan ! (Leia le retint par le bras – elle était probablement la seule personne dans toute la galaxie à pouvoir faire une telle chose – puis se tourna vers Raynar.) Et donc, qu’est-il arrivé ?

— Jaina et les autres vont bien. (Raynar s’adressa personnellement à Yan.) Mais ils étaient les amis de Raynar Thul. Nous ne savons pas ce qu’ils pensent de nous.

— Vous n’avez toujours pas répondu à la question, observa Luke.

— La Colonie a besoin d’eux, rétorqua Raynar. Seuls des Jedi peuvent éviter une guerre avec les Chiss.

Yan essaya une nouvelle fois de se montrer menaçant, mais Leia le stoppa vite dans son élan en l’éloignant vers le bord de l’estrade.

— Les Chiss nous ont parlé d’un différend frontalier, dit Luke. Mais ils ne nous en ont pas expliqué les raisons.

Raynar sembla exprimer quelques soupçons.

— Nous ne les connaissons pas. Le système dans lequel nous avons pénétré se situe à plus d’une année-lumière de la base Chiss la plus proche, et nous n’avons établi des nids qu’aux endroits où se trouve la nourriture. Leurs explorateurs sont seuls sur toutes les planètes riches en minerais. Nous avons même offert de travailler dans leurs mines. En échange de nourriture et d’équipement.

— Laisse-moi deviner, dit Yan. Les Chiss n’étaient pas intéressés ?

— Pire encore. Ils ont empoisonné les mondes où nous trouvions de la nourriture. (Il inclina légèrement son visage défiguré et émit une sorte de clic profond. En guise d’écho, les centaines d’insectes rassemblés en dessous firent claquer leurs mandibules.) Nos nids meurent de faim, et nous ne savons pas pourquoi.

— Vous n’êtes qu’à une seule année-lumière de leur frontière. Vous ne pensez pas qu’ils peuvent être inquiétés ? Ou qu’ils souhaitent réclamer le système à leur tour ? demanda Luke.

— Mais la Colonie n’essaie pas de les en empêcher, dit Raynar. Ils sont libres de prendre tout ce qu’ils veulent.

— Tant que vous êtes libres de prendre tout ce que vous voulez ? demanda Leia.

— Nous n’avons pas besoin des mêmes choses, répondit Raynar. Nous n’avons aucune raison de nous battre.

— Pas de raison apparente, dit Mara. On devrait peut-être jeter un œil là-bas. Où est le système ?

Raynar dévisagea Mara.

— Vous avez l’intention de vous y rendre ?

— Vous avez besoin d’aide, non ? lui rappela Luke. Nous pouvons peut-être résoudre le problème.

— Nous savons ce que nous avons dit.

Les yeux de Raynar s’assombrirent sur les côtés et soudain, Luke ne fut plus en mesure de voir autre chose. La présence obscure s’immisça dans son esprit, essayant de deviner ses intentions. Luke n’avait jamais connu une telle puissance et il dut se plonger au fond de la Force pour mieux le repousser.

Puis il sentit Mara, ainsi que Saba et Leia, déverser leur propre puissance à l’intérieur de lui. Ensemble, ils repoussèrent l’entité obscure. Et Luke se retrouva en train de fixer les yeux bleus et dépourvus de paupières de leur hôte. C’est là qu’il réalisa combien il lui serait difficile d’atteindre le véritable Raynar Thul.

— Qu’est-ce que tu attends ? demanda Yan. Dis-nous où se cache ce fichu système… à moins que tu aies trop peur de ce qu’on pourrait y trouver ?

— Nous n’avons absolument rien à craindre de vous, Capitaine Solo. Jaina et les autres sont libres de nous quitter à n’importe quel moment. Tout comme vous, Maître Skywalker. Nous vous assignerons un guide pour vous escorter jusqu’au nid Lizil.

— Nous ne voulons pas retourner au nid Lizil. Pas encore, du moins. Nous sommes venus pour savoir ce que Jaina et les autres étaient en train de faire, déclara Luke.

— Vous pouvez rester à Yoggoy aussi longtemps que vous le souhaitez, dit Raynar. Mais il vous est impossible de voir nos Jedi.

— Tes Jedi ? ricana Yan. Je préfère encore que le Noyau bascule du côté obscur !

Leia repoussa Yan et s’avança vers Raynar.

— Pourquoi ne voulez-vous pas qu’on les voie ? Parce que nous risquons de découvrir que vous n’avez pas été tout à fait honnêtes ? Parce que les Chiss sont plus dans leur droit que ce que vous insinuez ?

— Non. (La bouche de Raynar s’élargit, comme s’il allait sourire.) Parce que nous connaissons vos dons, Princesse Leia. Et parce que vous servez la nécessité plutôt que la vertu.

— Une seconde, s’exclama Yan. Leia ne fait plus de politique. C’est à nous qu’il faut t’adresser.

— Vraiment ? (Raynar se tourna vers Luke.) A quoi les Jedi aspirent-ils ?

— La paix, répondit aussitôt Luke.

— La paix au sein de l’Alliance Galactique, rectifia Raynar. Nous savons tous où a été bâti le Temple Jedi.

— Cela ne signifie pas que nous sommes les serviteurs de l’Alliance Galactique, fit Luke.

— Maître Skywalker, dois-je vous rappeler qui étaient les parents de Raynar Thul ? Nous connaissons tous le pouvoir de l’argent. (Raynar se leva.) Vous êtes censés vous incliner devant celles et ceux qui vous paient. Et, en ce moment même, l’Alliance Galactique a besoin que vous vous concentriez sur ce qui est juste.

— Juste pour qui ? l’interrompit Luke, lui aussi en train de se lever. Le bien et le mal, la lumière et l’obscurité ? La plupart du temps, ce sont les illusions qui nous empêchent de percevoir une réalité supérieure. Les Jedi ont appris à garder leurs distances et à chercher la vérité au-delà des mots. Laissez-nous y aller…

— Non.

Raynar s’approcha de Luke et soudain, la présence sombre refit son apparition, se pressant contre lui, en essayant de le pousser sur le bord de l’estrade. Luke s’ouvrit à la Force, se tenant bien droit en attendant que Raynar vienne se coller à lui, et ils restèrent à se dévisager. Deux étrangers qui avaient autrefois été maître et élève.

— Nous avons entendu parler de votre nouvelle manière d’appréhender la Force, dit Raynar. Et nous la déplorons. Les Jedi sont devenus aveugles au contact du côté obscur.

— Vous vous trompez, fit Luke. Nous avons appris à y voir plus clair et à accepter le fait que le côté obscur et le côté lumineux proviennent tout deux de la même source. Une source qui s’écoule à l’intérieur de nous.

— Et quel est le côté qui désire retrouver Jaina et les autres Chevaliers Jedi ? Et celui qui sert l’Alliance Galactique ?

— Celui au service de la Force, répondit Luke. Où qu’elle soit.

— Dans ce cas, il est préférable que vous laissiez Jaina et les autres accomplir leur tâche, reprit Raynar. (Il fit demi-tour et s’engagea vers les marches.) Comme nous vous l’avons dit, vous pouvez rester sur Yoggoy autant que vous le souhaitez.

— Mais bien sûr, éructa Yan dans son dos. Et dès qu’on se sera transformés en Affiliés, alors…

— Merci pour votre hospitalité. (Leia agrippa le bras de Yan et le repoussa en arrière.) Nous aimerions vraiment en savoir plus sur la Colonie. Et peut-être qu’après cela, nous pourrons nous pencher à nouveau sur la question ?

Raynar s’immobilisa en haut des marches et regarda par-dessus son épaule.

— Peut-être, mais nous ne changerons pas d’avis pour autant, Princesse. Nous ne vous connaissons que trop bien. (Il fixa Luke.) Nous ne vous connaissons tous que trop bien.